Le garde-forteresse
Gord Downie est l'une des personnes qui ont eu le plus d'influence sur ma vie. Je suis fan de son travail et de son groupe, "The Tragically Hip", depuis le jour où je les ai vus en concert au festival d'Ottawa, il y a presque 30 ans. J'appréciais déjà leur musique, mais comme bon nombre d'adeptes, c'est leur prestation scénique qui fit de moi un fan absolu. C'était le genre de groupe qu'il fallait voir sur scène pour que la magie opère. Parmi ces monstres de scène, Gord était un véritable chamane, déjà ruisselant de sueur au deuxième morceau, luttant avec son micro comme s'il s'agissait d'un serpent, la bave aux lèvres quand il évoquait la police, les gardiens de phare ou les épaulards au rythme du groupe. Sans parler des passages chaloupés, nimbés de lumière violette sur fond d'étoiles, évoquant l'Ontario et ses lieux de villégiature. Une fois rentré au Canada, après avoir habité à Boston, j'ai revu Gordon et son groupe ainsi que sa tournée en solo aussi souvent que possible. Je lui dois les trois meilleurs concerts de ma vie.
Gord annonça en 2016 qu'il était atteint d'une tumeur cérébrale. Ça m'a fichu un coup, même si je m'efforçai de ne pas le pleurer de son vivant. Lorsque les Hip ont annoncé leur prochaine tournée, dont nous redoutions qu'elle fût une tournée d'adieux, j'ai pris l'avion pour Toronto et deux concerts. J'ai regardé en direct et en ligne leur tout dernier concert, il y a un peu plus d'un an, à Kingston. Ma fille a fini par s'endormir contre moi. J'ai pleuré, j'ai chanté avec lui, j'ai vibré de fierté pour mon pays et mon groupe préféré au monde.
Gord est décédé le 17 octobre 2017, bien trop tôt. Il avait 53 ans. C'était un poète jusqu'à son dernier souffle, un ardent défenseur de l'environnement et des droits des amérindiens au Canada. C'était un homme bien, qui chérissait ses enfants et l'idée qu'il se faisait de son pays. Il a continué de créer jusqu'à la fin, et sa disparition représente une perte immense pour les amateurs de musique et ceux qui partageaient ses combats.
Si je vous parle de lui, c'est parce que j'ai intégré Gord à LOTRO. Pas de manière ostentatoire, il aurait détesté, mais en hommage à l'homme que je respectais et révérais, et dont la musique a accompagné mon travail en Terre du Milieu. Sa musique a inspiré l'univers de ce jeu, je lui ai donc fait une place en son sein. En début d'année, au moment de recréer le Champ de Cormallen et le passage où les Peuples Libres accueillent Frodon et Sam, il m'est apparu que nous ne savions rien du ménestrel qui chante leur aventure : son apparence comme son nom nous étaient inconnus. J'ai tout de suite su comment lui rendre hommage. J'ai demandé à MadeofLions, responsable du design de ce PNJ, s'il pouvait être chauve, porter un chapeau et de beaux vêtements (la tenue métallique, par contre, était excessive). Et je l'ai baptisé Garthebir, ce qui signifie "garde-forteresse" en sindarin, soit ce que j'ai trouvé de plus proche de l'étymologie de "Downie". Maintenant, le voilà, aux côtés des rois du Gondor et du Rohan, des porteurs de l'anneau et de Gandalf, à chanter les merveilles et les deuils qu'ils ont vécus.
Repose en paix, gardien de la forteresse. Te voir et t'écouter aura été l'une des plus grandes joies de ma vie.
--Chris Pierson, Responsable création de monde